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Le travail, l’inspiration, le génie

et le frisson mystique

 

 

Toujours dans le cadre de ma recherche pour comprendre les modalités de l’inspiration et de la création c’est sur le mot « génie » que nous allons nous arrêter.[1].Bien sûr je pourrais parler du génie des scientifiques qui découvrent et qui inventent et il y aurait beaucoup à dire. Mais c’est le génie de la création artistique (et particulièrement musicale) qui m’intrigue le plus que je vais développer maintenant.

D’abord qu’est-ce que le génie artistique ? Ma réponse est la suivante : c’est l’être (d’ailleurs en général un homme – en ce qui concerne le monde de la musique -) qui réalise une œuvre dans laquelle des milliers d’individus et des sociétés entières vont se reconnaître durant plusieurs siècles.

 

Nous allons nous pencher sur les symptômes d’inspiration de plusieurs compositeurs et écrivains : Mozart, Beethoven, Schubert, Wagner, Schumann, Nietzsche, Rilke et plus près de nous Cocteau.

 

MOZART : Le film célèbre « Amadeus » certes romancé et arrangeant la vérité historique à sa guise nous montre bien la facilité d’écriture de Mozart. Son œuvre est considérable. Capture-d-ecran-2011-09-16-a-14.53.17.pngLa musique sortait spontanément et le premier jet écrit apparaissait sous sa plume d’une façon parfaite et définitive. Le film arrange la vérité en plaçant Saliéri (bon compositeur au demeurant) au chevet de Mozart agonisant. En fait le Requiem de Mozart est fort peu de Mozart. Seuls la première partie et le Kyrie sont de Mozart. Tout le reste, jusqu’au Lacrimosa ne sont que des esquisses. C’est un dénommé Süssmayer qui termine et achève cette œuvre grandiose, étonnante et d’une égalité d’inspiration troublante pour une œuvre ayant été tant travaillée et reprise par un autre… ! Cette spontanéité, cette facilité d’écriture n’importe où (dans un café, dans un endroit public, par exemple : « le trio des quilles ») se retrouve également chez SCHUBERT qui a écrit certains de ses plus beaux lieder sur une table de café… !

 Capture d’écran 2011-09-16 à 14.55.20

En revanche on sait que BEETHOVEN, noyé très tôt dans sa surdité, écrivait avec peine et avec de nombreuses ratures. Sa « fantaisie chorale » (exactement « fantaisie pour piano, chœur et orchestre ») et qui date de 1808 est elle-même un avant-goût de l’Ode à la joie si connue, laquelle est longuement mûrie entre 1793 et 1824 !

 

Sur WAGNER voir : L'inspiration chez Richard Wagner

 

Dans le très beau film, sorti en mai 2009 intitulé « Clara » (c’est-à-dire Clara SCHUMANN) l’épouse du compositeur. On voit aussi parfaitement l’intensité de l’inspiration et qui envahit toute la maisonnée qui doit elle aussi ménager le silence et le calme autour de « papa qui compose ». D’ailleurs la fin dramatique de Schumann nous donnera l’occasion de tirer tout à l’heure une conclusion intéressante sur certaines conséquences de l’inspiration géniale.Capture-d-ecran-2011-09-16-a-14.57.57.png

De tous ces exemples on pense pouvoir conclure qu’en réalité l’inspiration est partout, apparaît à n’importe quel moment et que tout est prétexte à ce qu’elle se manifeste, comme une source qui sourd dans un terrain caillouteux et qui cherche la moindre faille pour se manifester. La pression semble ici quasi palpable et presque physique.

 

Abordons maintenant un personnage que j’aime aussi beaucoup, qui a beaucoup composé (ça on le sait moins) et qui décrit ses symptômes d’inspiration très impressionnants. Je veux parler de Frédéric NIETZSCHE.Capture d’écran 2011-09-16 à 15.00.11

Dans « Ecce homo » Nietzsche décrit son expérience de l’inspiration à propos de « Zarathustra » : Il écrit : « On entend, on ne cherche pas ; on prend sans demander qui donne, une pensée vous illumine comme un éclair, avec une force contraignante, sans hésitation dans la forme – je n’ai jamais eu à choisir. (donc contrairement à Wagner) Un ravissement dont l’énorme tension se résorbe parfois par un torrent de larmes… Un emportement « hors de soi » ; où l’on garde la conscience la plus nette d’une multitude de frissons ténus irriguant jusqu’aux orteils… Tout se passe en l’absence de toute volonté délibérée, mais comme dans un tourbillon de sentiments de liberté, d’indétermination, de puissance, de divinité ». Et le philosophe conclut, dans le même ouvrage : « Telle est mon expérience de l’inspiration. »

Plus tard on comprend qu’il a vécu une véritable extase lorsqu’il écrit ces lignes très impressionnantes et un peu sibyllines : « Un se fit deux - et Zarathustra passa auprès de moi… » !

Dans ses fragments posthumes on lit la preuve d’une véritable illumination : « cinq, six secondes, pas plus : subitement vous éprouvez la présence de l’éternelle harmonie. L’Homme ne saurait soutenir ceci dans son enveloppe mortelle : il lui faut se transformer physiquement ou mourir… Le plus terrible est l’épouvantable certitude par laquelle cela s’exprime, la joie dont cela vous comble. Si elle durait plus longtemps, l’âme ne le supporterait pas, elle disparaîtrait. »

Ce sentiment de joie on le retrouve évidemment chez Beethoven (« l’hymne à la joie ») et chez Wagner : « mais que savent les gens de l’état de ravissement d’un artiste en train de créer ? »Capture d’écran 2011-09-16 à 16.33.42

Quelques année plus tard le poète Rainer Maria Rilke (très influencé aussi par Nietzsche) – et à la poésie difficile - n’écrit-il pas : « Presque comme un Dieu je reçois des signaux venus des espaces du monde ».

 

C’est par une citation de comédien que nous allons aborder une autre approche du sujet : MOUNET-SULLY, grand tragédien du 19 è siècle (1841 – 1916) ne disait-il pas, parfois, après une interprétation particulièrement réussie : « ce soir les dieux son descendus ! » Capture-d-ecran-2011-09-16-a-16.35.55.pngEt Sarah Bernhardt disait de même. Mon professeur de comédie, Henri ROLLAN, (voir : COURS DE HENRI ROLLAN ) qui a créé les plus grands rôles de Montherland (lequel semble revenir à la mode) aurait dit à l’auteur pour la création du « Maître de Santiago » : « pour mon interprétation du rôle je vous en répond. Mais à partir du dernier acte je ne réponds plus de moi… » Il disait cela car la fin de cette pièce est particulièrement mystique et illuminée.

Dans on livre « Sur Racine » Roland Barthes critiquant le jeu de Maria Casares (que nous allons retrouver) dans Phèdre n’écrit-il pas ? : « Elle joue la passion comme une maladie, non comme un destin ; il n’y a évidemment plus dans son rôle aucune communication avec les Dieux. »

 

Dans « le testament d’Orphée » le dernier film de Jean COCTEAU (dont je n’aime pas beaucoup la poésie) on lit, pendant le procès qui lui est infligé par « la princesse » (Maria Casares) représentante de l’autre monde. On lit :

Capture-d-ecran-2011-09-16-a-16.24.54.png

  « La Princesse : - Avez-vous écrit :

Ce corps qui nous contient de connaît pas les nôtres.

Qui nous habite est habité.

Et ces corps les uns dans les autres

Sont le corps de l’éternité. 

Le poète (joué par Cocteau lui-même) : - Je reconnais l’avoir écrit.

La princesse : - Et de qui tenez-vous ces choses ?

Le poète : - quelles choses ?

La princesse : - Les choses que vous dites dans cette langue ni vivante ni morte.

Le poète : - De personne.

La princesse : - Vous mentez !

Le poète : - Je vous l’accorde si vous admettez comme moi que nous sommes les serviteurs d’une force inconnue qui nous habite, nous manœuvre et nous dicte cette langue. [2]»Capture-d-ecran-2011-09-16-a-15.08.30.png

 

Tous ces exemples nous montrent fort bien ce qu’est le génie et l’inspiration.

Revenons à Robert Schumann dont la triste fin fut dans un asile d’aliéné à Endenich près de Bonn.

Il est à noter que beaucoup de créateurs allemands sont morts fous.

Je cite dans le désordre : Schumann (ce qui est très bien montré dans le film déjà cité) Hugo Wolf, (Wagner ne l’était pas, fou, – mais il avait des colères explosives) Nietzsche, Novalis, Hölderlin, Lenau et bien d’autres…

Dans ma jeunesse j’avais inventé la théorie du génie créateur et du génie récepteur. Et bien entendu je me plaçais dans la seconde théorie puisque j’ai eu, comme Nietzsche, à l’écoute de certaines œuvres, les frissons mystiques!

 

Je pense qu’avec ces quelques exemples vous avoir bien fait toucher du doigt que l’artiste est un inspiré, que la pression qu’il subit est palpable et peu dérégler le psychisme[3].

 

J’ai écrit quelque part que, chez les allemands, ces symptômes étaient dus (si on peut dire)  au Soleil et à la Lune ! Cela peut paraître étrange mais en effet ces deux astres qui sont des fondements archétypaux de la pensée humaine, ont donc la particularité, en allemand d’être du sexe opposé à la majorité des autres langues. En effet, ne dit-on pas, en allemand, Die Sonne (LA Soleil) et Der Mond (LE Lune) !

Par cette inversion des valeurs, les allemands – tellement inspirés dans le monde des Lettres et de la musique – n’ont-ils pas eu une inversion de leurs archétypes intérieurs qui aurait pu être la cause, d’une part d’une ouverture plus grande vers l’infini et l’au-delà et d’autre part l’excès des idéologies  qui ont amené au nazisme. Puisque si les portes de l’au-delà se sont entr’ouvertes pour eux, comme le suggèraient jadis, il y a bien longtemps, du temps de ma Capture-d-ecran-2011-09-16-a-16.09.32.pngjeunesse, Louis Pauwels et Jacques Bergier dans ce qui fut un best seller des années 65 « le matin des magiciens[4] » qu’on ne s’étonne donc pas alors que le meilleur et le pire (comme on dit étrangement dans les mariages) aient alors été manifestés.

 

Il y a plusieurs opinions sur la création :

Ne dit-on pas « 10% d’inspiration et 90% de transpiration »… !

On pourrait distinguer deux sortes de créateurs : ceux basés sur le travail et ceux basés sur l’inspiration.

 

La primauté du travail c’est ce que pensait le grand Jean-Sébastien Bach qui aurait dit : "ce que je fais tout le monde peut en faire autant s’il travaille autant que moi " !

 

J’aurais tendance (et pour cause voir L'inspiration chez Richard Wagner) de placer Wagner parmi les créateurs particulièrement inspirés, cependant dans une récente lecture d’une biographie de Wagner je trouve cet aveu étonnant. Il aurait répondu à un critique particulièrement agressif (Hanslick) :

 

« Ne sous-estimez pas trop la force de réflexion ; l’œuvre d’art produite inconsciemment appartient à des époques qui sont très éloignées de la nôtre : l’œuvre d’art de la plus grande période culturelle ne peut être créée autrement que consciemment. »

 

 

On voit donc qu’il y  a un vrai questionnement à se poser entre travail et génie.



[1] Je parle du génie de la création artistique ou scientifique et non pas du génie qui sort comme une fumée de la lampe d’Aladin dans les contes orientaux !

 

[2] Ces vers étonnant sont manifestes d’une connaissance kabalistique indéniable car c’est la description exacte de ce que les kabalistes appellent « l’Adam Kadmon ». On m’a dit souvent que Cocteau était un initié bien que je n’aie jamais pu savoir exactement à quoi… Capture-d-ecran-2012-03-23-a-11.14.15.png

 

[3] D’ailleurs Dion Fortune dans son célèbre livre « la Cabbale mystique » ne dit-elle pas » Dieu est une pression » ?

 

[4] Actuellement réédité.

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