Certes je suis né dans un milieu musical, certes amateur,
mais de bon niveau.
Ma mère était violoniste[1] et avec une vieille amie pianiste – qui est morte folle – (et qui prenait régulièrement des leçons avec Yvonne Lefébure), elles jouaient ensemble Bach, Mozart, Beethoven, Brahms, Schubert, Schuman, Franck, Lekeu
et Debussy.
Elles s’arrêtaient à Ravel, trop difficile.
Mon père avait une belle voix de ténor
(où on comprenait TOUT)
et chantait Duparc et les mélodies les plus célèbres de Schumann, Schubert et Reynaldo Hahn… Et l’inévitable « Minuit Chrétien ».
Il chantait aussi un air de "Patrie" de Paladilhe (totalement oublié - et je ne peux même pas en trouver un extrait dans tout le répertoire sonore du net!). Air qui n'est pas sans grandeur ("Pauvre martyr obscur, humble héros d'un jour") et que papa aimait chanter depuis la tribune de l'orgue de V. parceque ça faisait pleurer les veuves de guerre!
Et puis nous avions les messes du dimanche matin avec le grand Cavaillé-Coll de notre église.
voir aussi : http://bernardcousin.over-blog.com/pages/UNE_ETRANGE_HISTOIRE-5918670.html
Voilà mon « ambiance » de naissance et d'enfance… Mais il y a un autre aspect : Mon père était passionné par la radio (la « sans fil » comme on disait du temps de ses vingt ans) –
il construisait lui même ses émetteurs et récepteurs radio ! - et était très intéressé et curieux de toute musique « contemporaine » et par tout ce qui touchait l’acoustique.
Sages dans leurs désirs et leurs besoins (pas comme moi…) mes parents se payaient une fois l’an un concert du festival de Besançon
et écoutaient sans problème Bartok, Berg, Dutilleux, Messiaen...
Je les accompagnais et j’absorbais sans broncher toute cette musique – pas évidente à entendre –
C’est ainsi que papa – dans la mansarde qui lui servait d’auditorium - m’a fait découvrir Jolivet (et sa "Suite Delphique" ) ainsi que Schönberg :
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Schönberg « Pierrot lunaire », . |
Berg « concerto à la mémoire d’un ange[2] »,
et Webern, Varèse et le jeune Pierre Henry débutant ! Ainsi que Pierre Schaeffer évidemment[3]
Par contre c'est moi qui initierai mon père à Pelléas qu'il détestait!...
Avec un ami pianiste les conversations et les lectures tournaient en grande partie autour de la musique contemporaine et le dodécaphonisme qui nous étonnaient et... nous ébranlaient même.
C’était l’époque des débuts de la FM et il devait être l’un des seuls dans notre petite ville à posséder un récepteur FM ! On recevait ces émissions par Mülhouse.[4]
Autres temps autres mœurs : les émissions s’arrêtaient à Minuit pour ne reprendre que vers 6 h et je me souviens très bien du concerto pour piano de Jolivet interrompu brusquement et sans vergogne – parce que le concert n’était pas terminé à Minuit !!!
Mon père avait des copains tout autant passionnés que lui par la musique « moderne » et c’est ainsi qu’à 15 ans un de ces « copains » me fait entendre sans scrupule « Erotica » (sans commentaire) de Pierre Schaeffer et Pierre Henry et me demandait ce que j’en pensais… !
http://www.ina.fr/fresques/artsonores/fiche-media/InaGrm00004/pierre-schaeffer-pierre-henry-symphonie-pour-un-homme-seul-erotica.html
Mais je découvre aussi les « Variations pour une porte et un soupir » de Pierre Henry. Là j’étais plus à mon aise...
http://www.ina.fr/fresques/artsonores/fiche-media/InaGrm00012/pierre-henry-variations-pour-une-porte-et-un-soupir.html
Et bien entendu "bidule en ut" de Pierre Schaeffer...
Mais quelle bonne approche de la musique contemporaine c'était pour mes jeunes oreilles !
J’insiste : durant mes premiers concerts je trouvais vraiment toutes les cordes très laides (crissantes et agressives)[5].
Ce n’est que bien longtemps après que j’ai compris ce qui se passait dans mes « jeunes oreilles » : mon père très intéressé par l’acoustique – comme je l’ai dit – s’était procuré ce qui s’appelle une « hétérodyne modulée ». C’était une machine électronique qui faisait entendre les sons des plus graves[6] aux plus élevés… aux ultrasons donc.
Avec ma mémoire actuelle je suis quasiment certain que j’entendais alors les sons au-delà de 20 000 périodes (théoriquement inaudibles) – alors que mon père et ses « copains » n’entendaient plus à partir de 10 000 périodes. Voilà pourquoi les violons me déplaisaient tant : j’entendais des ultrasons que personne d’autres n’entendaient… !
Mais rien ne vaut – chez Mr le curé du coin – la découverte de « la pince à linge » des « Quatre Barbus » (sur la 5è symphonie de Beethoven) dont la splendeur me fascina[7] !
Mais trêves de souvenirs et d’historiettes venons en à ma vraie formation musicale.
Dès 7 ans je commence le piano avec une vieille dame (évidemment) Renée Vilmée (née Renée Viac) diplômée de l’Ecole Normale de musique de Paris.
Elle avait été l’élève d’Isidore Philipp (célèbre par ses exercices dont j’ai inévitablement écopé) et d’Alfred Cortot.
Son titre de gloire, une dédicace de Gabriel Pierné : « à Mademoiselle Renée Viac pour la belle exécution de ma sonate » mais c’était une encre de guerre et l’écriture commençait à pâlir sérieusement[8].
Elle jouait Fauré à merveille!
(Mais Bach qu'elle jouait noyé de pédale était une véritable horreur !)
Elle m'a appris aussi à aimer la musique Espagnole (Granados, Albeniz et De Falla)
que j'adore toujours !
Madame Vilmée était un personnage hyper original et toute notre petite ville s’en moquait ![9]
Cependant je me souviens de n’avoir eu AUCUN PROBLEME pour assimiler tout ce qui m’était enseigné : les notes, les clés, les tonalités, les armures, les mesures, les modes, les rythmes… L’enseignement était loin d’être superficiel : études et exercices, interprétation, déchiffrage, harmonie, transpositions, chant à vue, dictées musicales, etc…
Mais je crois comprendre aujourd’hui que c’était la vieille école, très contraignante : la position de la main était imposée, les doigtés aussi - c’était comme ça et il fallait s’y plier !
Ce qui fait que lorsque j’ai repris des cours de piano[10] (quarante ans plus tard !) j’ai découvert une technique plus moderne, plus libre et plus libérale ! Je me suis senti dégagé d’un gros poids et les progrès furent en conséquence…
Malheureusement les aléas de la vie m’ont obligé à arrêter (définitivement ?) tout cela et je le regrette.
Et Wagner... ?
Ah! lui, c’est tout une histoire :
Voir… L'inspiration chez Richard Wagner - LE SENS INTIME DE LA TETRALOGIE DE WAGNER,
VISITES CHEZ RICHARD WAGNER et les châteaux de Louis II )
Puis dès 16 ans la location régulière de « microsillons[11] »(et beaucoup de lectures) ainsi que l'écoute de la radio, me donnent ma première ébauche d’une bonne culture musicale.
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Puis arrivé à Paris (1962!) je découvre vraiment l’opéra.
Pour officialiser un peu mes connaissances je m’inscris trois ans aux cours d’histoire de la musique de Gérard Sutton à la Schola Cantorum : il s’en suit un mémoire de 80 pages :
« Les gammes planétaires de Kepler et la notion de musique des sphères »
que je tiens à votre disposition et qui a fait l’objet de plusieurs articles.
Aujourd’hui (2012) - avec le théâtre -
la musique est toujours ma vie.
[1] Elle aurait été primée à Dijon,dans sa jeunesse avec le final du concerto de Beethoven.
[2] Que je ne supporte toujours pas… !
[3] Et Julien-François Zbinden…
* Elève d'un élève de Cortot (on n'en sort pas...!)
[4] ou par l’émetteur du Lomont.
[5] Bien entendu aujourd’hui je les adore !
[6] Quelques battements par seconde : on voyait bouger la membrane du haut-parleur !
[7] Le problème aujourd’hui est que je ne peux plus entendre cette symphonie (dite « du destin ») sans que me reviennent les paroles idiotes dont on l’a affublée… !
** Son diplôme était signé - entre autre - par Camille Saint-Saens (1835 - 1921), ma professeur étant décédée en 1969, c'est vraissemblable.
[8] Ce petit cadre avec la photo de Pierné a échoué à l’école de musique de Beauvais où elle doit toujours se trouver.
*** Mais pourquoi ne joue-t-on JAMAIS "La vie brève" qui est une pure merveille?!
[9] Par exemple elle s’habillait – pour aller faire ses courses – à huit heures du soir et s’étonnait de trouver les magasins fermés – elle donnait évidemment ses cours en robe de chambre !
Pour écouter les concerts de Radio Luxembourg (le lundi soir) elle mettait une robe du soir ! Elle n’a jamais eu le téléphone… etc… Il y aurait un livre à écrire… ! Si elle se connaissait en piano sa culture symphonique était entièrement nulle (j’en savais plus qu’elle) Exemple : elle classait Rossini parmi les baroques… !
[10] Avec un 1er prix de Paris.
[11] Dits maintenant « vinyles »