- Invocation pour qu'il pleuve
- Processions à la Vierge
Ces quelques souvenirs relatés ici m'ont marqué profondément.
1) La certitude de la puissance de la Nature sur l'Homme - et du coup le scepticisme d'un soi-disant dérèglement climatique et du rôle destructif réel de l'Homme sur la planète.
2) L'amour du théâtre plus ou moins mystique. J'aime beaucoup les flambeaux*, les feux de bengale (avec ou sans fumée) et surtout le théâtre dans la Nature, si difficile à réaliser.
http://bernardcousin.over-blog.com/pages/CELEBRATION_DE_LA_NATURE_ET_DE_LA_NUIT-6042139.html
* "Je vous salue devant les flambeaux!"!...
3) Les rites et rituels divers de toutes civilisations et de tous milieux.
- INVOCATION POUR QU'IL PLEUVE* :
* Vous pouvez écouter "pour remercier la pluie au matin" de Debussy.
https://www.youtube.com/results?search_query=pour+remercier+la+pluie+au+matin
Je me souviens. J'avais moins de dix ans. L'été était torride. Les cultures séchaient sur pieds, l'herbe était jaune. Les paysans formaient quasiment exclusivement la population (avec quelques châtelains)
de ce tout petit village de Haute-Saône1, et s'inquiétant de la sécheresse avaient demandé, comme dernier recours, au curé qui "régnait" sur eux (avec l'instituteur, deux personnalités inévitables des villages de jadis) de faire des prières pour qu'il pleuve!
1La Haute-Saône est un département au croisement des Vosges, du Doubs, (pour la branche verticale) et du Territoire de Belfort et de la Côte d’or (pour la branche horizontale). C’est un coin de France encore préservé des invasions de touristes. C’est une campagne doucement vallonnée - mais qui n’a pas la grandeur du Doubs, du Jura ou la noirceur des pins vosgiens.
Alors l'église fut pleine. Jamais elle n'avait été aussi pleine cette grande et belle église du XVIIIè siècle, trop imposante - et haut perchée - pour un si petit village.
Le curé (l'abbé L... - je m'en souviens très bien et son nom est gravé sur une plaque honorant les anciens curés) monte en chaire, en surplis, et demande alors à la Vierge son aide "pour qu'il pleuve". Je m'en souviens très bien.
Photo A. C.
Qu'il ait plu ou non, plus tard, ma mémoire ne me le dit pas. Alors la procession sort de l'église, descend les trois marches, longe le mur de notre jardin
et monte, au-delà du cimetière, à-travers les prairies et les champs. Le curé est en tête, peut-être revêtu de tous ses ornements - et la chaleur étant torride comment pouvait-il supporter cette chape, dans tous les sens du terme ? - et le voilà, avec un enfant de chœur (pas encore moi, j'étais trop jeune) portant le sceau d'eau bénite, et lui, muni du goupillon, bénissait les moissons!
Certes c'était le rite catholique romain, mais avec l'âge j'y vois bel et bien une résurgence du rite de Déméter...
*
- PROCESSION À LA VIERGE :
Les processions du 15 août (à moins qu'il s'agisse de la fête Dieu)...
C'est la date, dans le calendrier grégorien, où l'on fête l'assomption, au ciel, de la Ste Vierge - avec son corps*...!
* Credo catholique romain : "Je crois en la résurrection des corps"! C'est toujours valable! Les pratiquants répètent ça bêtement sans se représenter les conditions in vraisemblables que cela implique pour notre terre déjà surpeuplée... (Et je me demande bien pourquoi cette fête très religieuse est fériée dans un pays laïque.)
En général il fait chaud et il fait beau, mais une croyance bien ancrée - et qui s'est révélée vraie pendant de nombreuses années - voulait qu'après le 15 août l'été finisse par des trombes d'eau : l'orage du 15 août!
Donc ce soir là, chaleur, été et procession du soir. Là il y a plutôt des bigotes, les paysans de tout à l'heure, plus intéressés par leurs cultures que par la Vierge, sont absents.
Nous sommes tous munis d'un petit cierge allumé, recouvert d'une sorte de pyramide en papier et retournée à l'envers,
sur les flancs de laquelle étaient gravés les textes de cantiques.
Je dois avoir 10 ans et ce cérémonial m'impressionne et me plaît. J'ai moi aussi mon cierge et mes textes. Nous quittons l'église, longeons notre jardin,
puis le cimetière où reposent mes arrière-grands-parents maternels - qu'évidemment je n'ai pas connus - pour monter vers la Vierge ; but de notre saint périple.
Mais avant d'atteindre cette hauteur il faut longer "le trou du diable", vrai dépotoir au fond d'une déclivité, où il était coutume, depuis des années, d'aller jeter tous les objets encombrants, sans que la municipalité ne s'en émeuve nullement. J'y ai vu des fourneaux, des réfrigérateurs, des meubles... Il parait que depuis, par-dessus, une maison a été construite. Je n'aimerais pas y habiter...
Donc nous chantons en procession lente. La nuit commence vraiment à tomber dans ces soirées déjà précoces de mi-août. Certes, ce sont des bigotes qui coassent ces saintes paroles mais je ne m'en rends pas compte. En tête, le curé en chasuble porte une grande croix.
https://www.youtube.com/watch?v=OuqLDEKljZ8
Ces femmes, et quelques enfants sans doute, avec leurs cierges qui montent en chantant vers "la Vierge" n'est pas sans grandeur. Et cela me plaît et me marque à jamais.
Donc nous chantons des cantiques "Chez nous soyez Reine", "Je suis chrétien" etc... mais dans l'un de ces cantiques que je n'ai pu retrouver, il y avait la phrase suivante implorant la Vierge : "Etends sur nous ton bras" et dans mon esprit d'enfant je comprenais (et chantais donc) "étant sur nous, tomba"!
Explication de ma logique d'enfant : oui, nous sommes debouts en train de marcher, mais la Vierge, elle, est couchée sur nous, donc elle est en déséquilibre, donc elle tombe!!!
Ah! que je faisais rire ma mère quand bien plus tard je lui racontais ça!
D'ailleurs c'est comme le tabernacle de cette église de BLF. Il est très beau (et pouvait pivoter pour offrir des miroirs recevant l'ostensoir*)
* L'ostensoir est un support décoré et doré pour présenter l'hostie consacrée à la foule.
Sur ce tabernacle est gravé le Livre de l'Apocalypse supportant l'agneau de Dieu, entouré de nuées célestes, avec les sept Sceaux au bas du Livre Saint. Mais moi, enfant, (Ah! ma Grand-Mère bigote, si tu avais su ce que je comprenais!) je voyais un fourneau qui faisait cuire un agneau - avec de la fumée - et les sept Sceaux de l'Apocalypse étaient réduits à sept casseroles!
Ah! que je faisais rire ma mère quand bien plus tard je lui racontais ça!
Ici, on distingue bien le fameux tabernacle!
Enfin la nuit tombant (on avait dû faire 1 ou 1 km et-demi) nous arrivions à la Vierge.
Cette étape était à l'embranchement de deux chemins de terre.
L'un, à droite, de moins en moins entretenu et de plus en plus herbu et longeant des vergers, nous amenait à la "la cabane du zouzou". Personnage plus ou moins imaginaire qui me faisait très peur mais plus tard, plus grands et plus hardis, mes frères et moi avons visité cette cabane qui était une vraie maison tombant en ruine dans laquelle nous ne vîmes nul zouzou!
Le chemin de gauche, plus entretenu, continuait entre les vergers et les prés pour s'enfoncer dans un de ces grands bois de Haute-Saône, riches en champignons à l'automne.
Où nous faillîmes nous perdre, ma Grand-Mère et moi tout jeune ; elle n'en menait pas large, je m'en souviens très bien! |
C'est ma Grand-Mère qui m'apprit à connaître les bons et mauvais champignons (des bois et des prés). Depuis je suis toujours resté fidèle à ses conseils, évitant la moindre initiative même si les livres nous assuraient une chaire délicieuse. Nous trouvions des Ceps et Bolets, des Chanterelles (ou Roussottes) et les délicieuses "trompettes de la mort". |
Et ce chemin aboutit à la "croix Blinot" en plein bois. Tout droit le sentier continuait, mal entretenu, (maintenant c'est un sentier GR) pour déboucher proche du chef lieu du département, à gauche retournant au village et à droite se dirigeant vers la ville de V.
C'est lieu romanesque qui m'a toujours plu.
Un jour - ou plutôt une nuit, pas trop tard quand-même mais il faisait nuit - alors que nous nous dirigions toute la petite famille (femme et enfants) vers BLF, j'eus soudain l'idée d'arrêter, de passer le volant à mon épouse, de prendre mon aînée par la main (elle devait avoir moins de dix ans) et de rentrer, à pieds, par ce chemin. Dans la voiture elles étaient inquiètes mais j'étais sûr de moi, je connaissais bien le chemin qui finalement n'était guère long (2 km au maximum) et la lune était pleine.
Ma fille aînée t'en souviens-tu?!
Je pris alors la main de ma fille et nous entrâmes dans l'obscurité du bois. Le voyage ne fut pas long, rapidement nous aperçumes la sortie des grands bois et débouchons en plein clair de lune entre les prés et les vergers. Ma fille était évidemment tout en confiance! Tenant la main de papa que pouvait-il lui arriver?
Certes, il s'agit un peu de courage à la Bécassine ou à la Don Quichotte, mais lequel parmi vous, lecteur, et surtout lecteur parisien, accepterait que je le déposasse à minuit à la croix Blinot, en Haute-Saône, même avec la lune et même en lui montrant le chemin?...!
Puis nous dépassons la Vierge, frôlons le "trou du diable" (sans en parler à ma fille) longeons le cimetière et contournant l'église arrivons dans notre maison de campagne éclairée - où personne n'était véritablement inquiet!
"Mais enfin, dans l'obscurité,
je vois notre maison et ma frayeur s'évade!"
Molière Amphytrion
*
Mais il y avait d'autres processions, véritables petits pèlerinages aussi.
La paroisse était placée sous la chaude protection de St Laurent. Un peu plus loin, sur les coteaux avoisinants, à la frontière des forêts, une minuscule chapelle s'élevait, elle aussi consacrée à St Laurent.
Avec la paroisse, en procession, j'ai dû y aller deux ou trois fois.
Nous verrons ensuite que j'y suis allé plusieurs fois à la recherche d'un sentier secret.
Comme c'était assez loin on n'y allait pas en bon ordre en chantant des cantiques, chacun marchait à son pas et au bout d'une heure de marche on arrivait à ce petit monument assez mal entretenu.
Le curé en avait la clé, jetait les vieilles fleurs, en ajoutait d'autres plus fraîches et tout cela devait se terminer par un sermon et des chants pieux. Puis chacun repartait chez soi.
Tout près était une propriété privée "le chalet de paille", magnifique dans son aspect romanesque et quasi colonial. On en connaissait les propriétaires, un prêtre venait s'y reposer en été et disait alors quelques messes à l'église du village. Ce chalet (presqu'un château) dominait une vaste prairie entourée de bois. A l'époque de ma jeunesse on entrait sans aucun problème (et sans aucune permission) et on osait même se hisser sur les balcons!
Mais la dernière fois que j'y suis allé avec ma petite progéniture (vers les années 1985) une pancarte, hélas, indiquait, dès le début du chemin "propriété privée" - je ne sache plus qu'il y eut "défense d'entrer" mais nous nous arrêtames à cette étape bien que l'accès à la propriété ait été provoquante par sa facilité et même incitative...
Mais revenons à la chapelle St Laurent. Nous y sommes revenus quelques fois en famille et nous savions qu'un chemin, dans les bois, amenait directement sur le territoire d'une autre village le V St E.
Plusieurs fois nous le cherchâmes en vain, ce chemin, mais une fois nous le trouvâmes et notre récompense fut grande car finalement il était assez court et nous menait directement sur un grand pré avec une authentique chapelle "la Banye" sur l'autre flanc de la colline.
Je pense maintenant qu'il est marqué comme un sentier de Grande Randonnée.
Durant mon enfance les portes de l'église restaient grandes ouvertes toute la journée, les statues étaient voilées de noir ou de violet
et le tabernacle vide de tout ciboire et d'hosties consacrées restait grand ouvert. On ne sonnait pas l'Angelus (puisque les cloches étaient parties à Rome - sauf une pour sonner les heures !) On entrait dans l'église sans génuflexion et sans signe de croix. Il n'y avait évidemment aucun service religieux. L'orgue était muet. Et on parlait ostensiblement à voix haute pour bien montrer que le lieu était devenu, pour un jour, profane.
*
Après tant de mysticisme terminons par un peu de
diableries!...
Ci-dessous la fontaine du Caleuchot où parait-il, un soir, le diable, avec son carosse et tout son équipage, "sa pompe et ses œuvres", furent engloutis!
Mais je n'ai jamais pu comprendre comment un pareil équipage a pu disparaitre tout entier dans une source aussi petite...